Article du Télégramme : 18 juin 2015 Gwendal Hameury
« Le jour des cailloux ». C’est le titre du spectacle que Sandra Enel, de la compagnie Gazibul, a jouée hier matin à la maison d’arrêt.
Une pièce où les mots jouent le rôle principal. Notamment ceux des détenus. C’était l’ultime représentation du « Jour des cailloux » pour la comédienne Sandra Enel cette saison. Et il était hors de question qu’elle se fasse ailleurs qu’entre ces quatre murs. Hier matin, la toute dernière création de la compagnie Gazibul s’est jouée au parloir de la maison d’arrêt. Un endroit exigü, sombre, dans lequel le régisseur Erwann Philippe avait réussi la prouesse d’installer son décor, ses enceintes et ses lumières. Quelques bancs en bois avaient aussi été disposés à l’attention d’un public peu nombreux, habitué au milieu carcéral, et donc pas plus effrayé que cela par le fait de devoir passer sous un portique de sécurité avant d’assister à une représentation théâtrale : des familles de détenus.
Une aventure collective
Ces derniers – cinq au total, le noyau dur du projet – étaient là aussi, évidemment, impatients de voir le résultat des ateliers de réflexion et d’écriture auxquels ils ont participé depuis le mois de janvier. Huit séances, soit une douzaine d’heures cumulées. Car le « Jour des cailloux », c’est avant tout une belle aventure. Celle d’un partenariat entre Gazibul, Itinéraire Bis, la MJC du Plateau, la Ligue de l’Enseignement et le Spip 22 (service pénitentiaire d’insertion et de probation). « Un projet sur le thème des mots, explique la comédienne Sandra Enel. Des mots cachés qui s’échappent, des mots qui volent, des mots qui pèsent et qui font mal, des mots racines qui aident à grandir… Pourquoi les mots sont-ils si importants dans notre société ? Rendent-ils libres ? » Un questionnement qui revêt une importance primoridale, bien entendu, quand on est enfermés toute la journée ou presque dans une cellule de 9 m², aux fenêtres obstruées par des barreaux, que l’on partage avec plusieurs co-détenus. Créée dans le cadre de la fête des Mots familiers, la pièce a aussi permis des échanges – allers-retours de créations plastiques et textuelles – entre ces détenus et les élèves des classes de grande section des écoles de l’Établette et de La Ville-Bougault et ceux de la classe de CP de l’école Beauvallon. Histoire de créer une passerelle entre deux imaginaires et finir de se convaincre que ce sont bien les mots qui font « exister le monde et nous permettent de retrouver notre chemin lorsque nous sommes perdus ».
Émotion et fierté
À l’issue des 45 minutes d’un spectacle au cours duquel Lina, le personnage central, a pris le plus grand soin des « mots pour dire », une discussion s’est installée entre l’actrice et son public, assis à moins d’un mètre de la scène. Discussion au cours de laquelle on a vu poindre à la fois de l’émotion et une certaine fierté dans les yeux des détenus. « Il y a toute une partie de la pièce qui vient de vous. Ce sont vos idées, vos mots, ce spectacle vous appartient. On vous a amenés avec nous partout où on l’a joué », confiait une Sandra Enel heureuse de pouvoir enfin leur montrer le fruit de leur travail. Du côté des familles aussi, on sentait de l’émotion. Celle de pouvoir partager un moment heureux avec un mari, un fils, en oubliant que les portes du parloir sont fermées à double tour. « C’est vraiment bien que vous fassiez ça pour eux, pour nous », soulignait ainsi une maman. Ça l’est d’autant plus qu’il n’est pas simple de faire souffler un vent de liberté en mileu carcéral. Mais les choses évoluent. Le marionnestiste Philippe Saumont, la photographe Sonia Naudy, les stages de l’association Juno Bravo, et maintenant Gazibul ont amené un peu de vie en prison. Et c’est tant mieux.